bardo thodol

Le Bardo Thödol ou Livre des Morts tibétain, œuvre précieuse de la littérature orientale, connaît de nos jours un évident regain d’intérêt. Il faut dire que nombre de moines et de Lamas, exilés d’un pays martyr, s’emploient à répandre chez nous leurs doctrines ancestrales. Des intellectuels comme C.-G. Jung n’avaient pas attendu ces circonstances pour analyser le Bardo Thödol. Les avis élogieux du grand psychologue suisse, qui a cru découvrir dans les visions posthumes du texte l’expression d’archétypes de l’inconscient, ont conféré d’emblée à ce livre des lettres de noblesse…

Les origines du Bardo Thödol

C’est un certain Karmalingpa qui, au XIVe siècle, aurait mis la main sur la première esquisse tracée par un sage nommé Padmasambhava. A partir de ces rudiments devait se développer la forme (plus ou moins) définitive du Bardo Thödol, en passant de l’inventeur à ses disciples, puis à d’autres, au gré des influences et des ajouts éventuels, émanant de lamas liés à des Écoles différentes.
Au total, tel qu’il nous parvient aujourd’hui, le livre est reconnu comme un texte de la vieille tradition Nyingmapa, non réformée, et rattachée au « semi mythique » Padmasambhava.

Le Bardo Thödol relève du mahâyâna, et spécifiquement du tantrayâna, si caractéristique du lamaïsme, qui vise la voie abrupte de la libération des renaissances, en ajoutant à la discipline individuelle classique l’emploi de maints rituels élaborés (contemplation,visualisation, postures, gestes, récitation de formules sacrées et de prières…).

Bouddhisme classique et Bardo Thödol

Le Bardo Thödol, qui n’appartient pas au canon du bouddhisme tibétain, n’apparaît guère à l’examen comme reflétant un pur enseignement du Bouddha. Son origine légendaire ne lui confère aucun brevet d’authenticité. Mais ici, comme ailleurs, la vérité d’une doctrine ne dépend pas de son antiquité, mais surtout de sa valeur intrinsèque. Et à ce titre son étude est des plus intéressante.

Madame Blavatsky et le Bardo Thödol

Installée quelque temps en Inde, la grande théosophe Héléna Blavatsky (1831-1891) n’a cessé de mettre en garde contre l’attrait du merveilleux. Pour elle, tout ce qui vient des lointains pays n’est pas automatiquement « parole d’Évangile ». Et même si elle connaissait l’existence du Bardo Thodöl, elle ne l’a pas cité une seule fois dans l’ensemble de ses écrits.

L’enseignement théosophique concernant l’après-vie diverge il est vrai nettement du schéma offert par le Livre des Morts tibétain, mais ce livre a l’avantage de rendre compte d’expériences rapportées par des hommes ranimés à la vie in extremis.

Face à la majorité des mythes qui décrivent des voyages symboliques post-mortem où le “mort” fait des rencontres avec des tiers chargés par exemple de le guider, le Bardo Thödol fournit en tout cas sa propre explication psychologique de l’aventure posthume de l’être humain.

Le livre prétend retracer le chemin de la conscience individuelle depuis l’agonie de l’homme jusqu’à son éventuelle renaissance dans l’un des six domaines de la transmigration, ou samsâra. Dans ce cadre de réflexion, il est intéressant de comparer les enseignements théosophiques avec le Bardo Thodöl, en gardant en mémoire que le Livre des Morts tibétain s’adresse ou s’adressait essentiellement à des Tibétains, tandis que la Théosophie se réclame d’une vocation philosophique universelle.

Dans ce qui va suivre, nous laisserons parler d’abord le Bardo Thödol puis la Théosophie, pour souligner en temps utile convergences ou oppositions, en explorant successivement chacune des trois phases (ou bardo) qui font passer des derniers instants de la vie à la réincarnation.

Le bardo du mourir – Chikai bardo

L’intention du Bardo Thödol est d’assurer la libération (dol), par l’écoute (thö) pendant l’état transitoire (bardo = entre deux) que traverse la conscience à l’approche de la mort. Pour le mourant ou le mort, le bardo peut être vécu dans l’incertitude et le trouble, d’où l’importance d’une aide apportée par un lama expert en la matière.

Pour l’hindouisme des Upanishad, comme pour le bouddhisme et, plus tard, la Théosophie moderne, la mort marque simplement la fin d’un processus et le retrait des énergies qui soutenaient l’activité organique et sensorielle.

Dans sa première partie consacrée au mourir, le Livre des Morts, en indiquant la conduite à tenir devant le mourant, se conforme à ce schéma général : il précise les sensations particulières éprouvées par le sujet, permettant (théoriquement) de suivre l’évolution de l’agonie.

Selon un schéma classique, les éléments constitutifs de l’homme se réabsorbent dans l’ordre inverse où le processus de la naissance les avait déployés. De la terre à l’espace, de la forme à la conscience de la personne, la désagrégation de l’être terrestre s’opère méthodiquement pour ne laisser finalement, après la mort, qu’une sorte de corps mental avec une conscience-témoin qui vivra les phases ultérieures de l’expérience posthume.

En attendant, pendant l’agonie, on accompagne le mourant pas à pas et on le prépare clairement à ce qu’il va vivre. C’est là une des originalités du Bardo Thödol.

S’il s’agit d’un yogi entraîné qui connaît le chemin de l’illumination, on peut le laisser faire seul. Sinon, du laïc ordinaire au pratiquant du tantrisme, on adaptera à chacun le discours et la méthode convenable, pour amener la personne à se présenter le mieux possible en pleine conscience devant l’expérience ultime. Le lama surveillera de près les étapes de l’agonie en poursuivant notamment la lecture du livre des morts.

Quand la respiration s’est arrêtée, on allonge la personne sur son côté droit. Il s’agit d’empêcher le prâna (souffle de vie) de se disperser dans des canaux subtils latéraux afin qu’il puisse sortir correctement par le sommet de la tête (ce qui est aussi une préoccupation de l’hindouisme).

C’est le moment des grandes recommandations verbales: que l’homme reste vigilant, qu’il ne tombe pas dans la confusion, la peur, l’angoisse; qu’au contraire il dirige sa pensée vers l’idéal de compassion du Bouddha, en se rappelant ses pratiques de dévotion.

L’instant suprême

Une claire lumière blanche va surgir dans le champ de la conscience, comme un flash fugitif, ou au contraire comme une belle aurore qui se prolongera pendant des heures, voire des jours, selon le degré de pureté du mourant. Cette brillante luminosité doit être reconnue comme l’essence ultime de la conscience, et non comme un objet mental à contempler avec délices ou à fuir pour son caractère insolite. Cette expérience de pure vacuité sera pour le mourant la manifestation du Bouddha éternel et primordial, l’Adibuddha, racine de tout être ultérieur, de toute conscience, d’où émerge toutes les dualités. Assurément, si le mourant est capable de reconnaître cette luminosité pour ce qu’elle est – la pure Conscience – il atteint l’état de parfaite illumination. Et pour lui, c’est la libération.

Le Bardo Thödol tient cet instant ultime pour capital. Un homme a bien pu créer en lui-même des obstructions karmiques le détournant du but, mais dans cette phase cruciale du mourir, le voile d’illusion dû à ce karma n’a pas encore le pouvoir d’égarer la conscience – comme ce sera le cas dans les phases ultérieures. Aussi faut-il répéter les instructions à l’oreille du mourant pour qu’il profite de ce sursis exceptionnel, à un moment où, malgré son karma, tout semble possible à celui qui sait se ressaisir pour réaliser son propre salut. Si cette première chance n’a pas été saisie, le Livre des morts fait état d’une seconde manifestation de la claire lumière plus faible avant la mort définitive. Ce sera là sa dernière occasion, à ne pas manquer, avant qu’il n’entre dans le bardo suivant.

Cette partie du Chikai bardo, où surgit cette pure luminosité, n’est pas sans analogie avec la philosophie hindoue. Dans le Brihadâranyaka Upanishad hindou, on découvre également que lorsque l’homme rend le dernier soupir, le sommet du cœur s’illumine, que dans cette splendeur, le Soi s’échappe et que tous les prâna l’accompagnent.
Le Soi est conscience, et conscient il transmigre…

Pour l’hindouisme également, aux tout derniers instants de l’existence, l’être conscient fait l’expérience d’une splendide lumière. Le yogi de la Bhagavad-Gîtâ cherche à se fondre, au plus intime de cette réalité, qui est dite “couleur de soleil”.

Nos modernes “rescapés de la mort” lors de NDE parlent aussi d’une merveilleuse expérience lumineuse, mais pour eux ce n’est pas la rencontre avec l’ultime Réalité vide de toute image – sorte d’Absolu impersonnel où irait s’abîmer le moi terrestre – mais une confrontation avec eux-mêmes accompagné souvent d’une revue de leur existence, pleine de relief et de couleur, leur révélant finalement un aspect insoupçonné de leur être profond.

Le mourir selon la théosophie – Une approche transpersonnelle

Avec près de 100 ans d’avance sur les récits modernes de NDE, les maîtres spirituels de Mme Blavatsky ont expliqué le vécu de la conscience aux portes de la mort et le sens de ces expériences psychologiques.

Les éclaircissements apportés sur ce sujet de la vie posthume couvrent de nombreuses pages de la littérature théosophique. Essentiellement, la théosophie a visé à apporter les connaissances qui manquaient à l’homme moderne et non à l’instruire dans les arts occultes. Qu’on n’attende donc pas d’elle de recettes pratiques pour guider les prâna dans les canaux subtils, transférer la conscience à l’aide de mantras, de respirations spéciales ou de cérémonies magiques.

Par contre, elle a insisté sur l’unité essentielle de tous les êtres engagés dans une évolution de leur conscience et la réalisation progressive de leurs potentialités divines résultant de leurs efforts individuels. Elle souligne que l’harmonie de l’univers repose sur la loi souveraine du karma auquel nul n’échappe. La théosophie liquide l’espérance de pouvoir gagner la “libération” de façon artificielle. Qu’on n’attende pas un tel miracle – fût-ce avec le secours de la magie.

Assurément, il existe des êtres rares – yogis parfaits ou « sorciers confirmés » qui, avec leur science propre savent comment préserver leur conscience en dehors d’un corps, et même, pour les plus purs d’entre eux, gagner une libération définitive s’ils la désirent. Mais ce n’est pas le cas des millions de gens qui rencontrent la mort. Et c’est de cette mort commune de l’homme « ordinaire », que parle la théosophie. Elle en donne une image sereine, où tout se déroule naturellement, sans que la conscience de l’homme, une fois dégagée de son corps, ait besoin d’être guidée de l’extérieur pour vivre ses expériences.

Dans les récits actuels de mourants réanimés (après coma, arrêt cardiaque, etc.), on trouve mention d’une sortie de la conscience hors du corps qui est alors perçu inanimé – comme “mort” – toute sensation de douleur étant abolie. À ce niveau, l’être peut entendre la parole des vivants, et les voir s’activer autour de son corps physique. Les recommandations d’un lama pourraient ici lui parvenir. Mais quand le processus de la mort est vraiment engagé, que la conscience a perdu tout contact avec ce monde-ci pour “entrer dans la lumière”, elle est complètement focalisée sur son expérience. Nul ne peut plus communiquer avec elle pour commenter ses visions et tenter de la guider. La lecture du Bardo Thödol ou de tout autre discours n’est plus alors d’aucun secours car le mourant n’entend plus les vivants à l’ultime moment de la vie physique. Et, tout compte fait, cet isolement complet – que les personnes présentes ne devraient troubler sous aucun prétexte, est un bien et une nécessité, car alors l’homme connaît l’instant le plus solennel de son existence dans cette rencontre intime de sa conscience personnelle avec la sphère lumineuse de son ego supérieur. C’est alors qu’il découvre le foyer vivant de son identité transpersonnelle – l’être profond, qui ne naît ni ne meurt, mais soutient de son pouvoir de vie et de conscience chacune des personnalités qu’il anime au fil de ses incarnations successives.

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Pour la Théosophie, le retrait de la conscience vers sa source suit une sorte d’itinéraire balisé, en passant du monde des sensations physiques, progressivement éteintes, aux visions psychiques (rencontres éventuelles avec des amis, des parents…), jusqu’à la communion avec le Soi supérieur, où ce dernier manifeste quelque chose de son omniscience potentielle.

C’est alors, pour l’homme personnel confronté à son individualité permanente, la revue panoramique de toute son existence, comme acteur et comme spectateur impartial, et aussi une sorte de vision prospective du personnage qui émergera, conformément au karma, dans la prochaine vie terrestre. Ici, l’être s’est affranchi des contingences de son espace-temps usuel. Dans cette expérience transcendantale, où tout, du passé au futur, est saisi dans un présent immuable, l’homme retrouve ce qui est pour lui comme sa racine divine. Mais on ne saurait dire, comme le suggère le Bardo Thödol, qu’il bénéficie alors d’une authentique perception de l’Adibuddha, l’ultime Réalité impersonnelle de l’univers des êtres. Dans le meilleur des cas, pour le mourant ordinaire, ce n’est encore qu’un pâle reflet de cette sorte de soleil primordial. Dans sa conscience personnelle, il ne saisit que ce qu’il peut, de ce que lui en retransmet son Ego transpersonnel divin.

Mme Blavatsky a ajouté: “L’idée qu’un homme se fait de Dieu est l’aveuglante lumière divine qu’il voit réfléchie dans le miroir concave de son âme. Toutefois, en stricte vérité, ce n’est pas Dieu dont il s’agit mais seulement de son reflet. Ce que l’homme perçoit est la lumière de son propre Esprit – et c’est tout ce qu’il peut supporter de contempler. Plus clair est le miroir, plus brillante sera l’image divine.

Ainsi, contrairement à ce qu’il y aurait lieu de craindre avec le Livre des Morts, il ne s’agit pas d’une expérience que l’on pourrait éventuellement manquer faute d’instruction car à la mort elle s’impose d’office à la conscience, et cela sans aucune exception. Même un individu en proie à la folie a son instant de parfaite lucidité au moment de la mort, bien qu’il soit incapable de le faire savoir aux assistants ! Dans la vision rétrospective de son existence, il comprend désormais l’enchaînement des causes qui ont joué dans tous les événements de sa vie passée. Il comprend l’étendue de sa responsabilité dans chacun de ses actes et se doit de reconnaître le bilan objectif de sa vie. À cet instant suprême, résonne la note tonique de toute son entreprise humaine – comme l’expression dominante des désirs qu’il a nourris du fond de son être. Et cette ultime vibration, qui résume l’essentiel de son personnage déterminera largement le contenu de toute son expérience posthume.

L’expérience de la mort vue par le Bardo Thödol

S’il a manqué la grande opportunité de se libérer à l’heure dernière, le trépassé tombe dans une sorte d’évanouissement qui dure 3-4 jours. Il en émergera sans bien réaliser ce qui s’est passé : ignorant souvent qu’il est mort. Demeurant parmi les vivants et cherchant à communiquer avec eux, il errera parfois dans la confusion, l’irritation, l’inquiétude. C’est le moment pour le Lama lecteur du Bardo Thödol de le reprendre en main pour le guider.

Ici, la démarche s’appuie sur une double hypothèse (affirmée bien sûr comme une connaissance certaine) :

1° – Le “principe conscient” qui survit n’a été altéré en rien par la perte de son enveloppe physique ; dans son corps mental, il jouit à présent de sens très affinés, avec la faculté de se déplacer en un clin d’œil là où il le veut, même à longue distance. Cependant, étant inaccoutumé à ses nouvelles conditions et dérouté, cela accroît singulièrement sa capacité d’écouter les directives proposées. Vu qu’il est “neuf fois plus conscient” qu’à l’état incarné (selon le Bardo Thodöl), les chances sont maintenant bien plus grandes de l’instruire et de le conduire en sûreté vers la libération. On s’attachera donc à lui faire comprendre qu’il est bel et bien mort, qu’il n’a plus rien à faire ici-bas, qu’il n’a plus à regretter quoi que ce soit.

2° – Enchaîné généralement par son karma, à la roue de la transmigration (le samsâra), l’esprit a néanmoins la possibilité d’y échapper s’il écoute les leçons du Bardo Thödol. Il dispose d’une période de sursis non négligeable, qui dure jusqu’à 49 « jours » après la mort. Mais l’itinéraire posthume que suivra sa conscience est soumise à une inéluctable force de gravité karmique qui du haut sommet entrevu au moment de la mort, l’amènera de palier en palier à retomber bientôt dans les illusions d’une nouvelle naissance. Mais à chaque palier – symboliquement, à chaque “jour” vécu dans le bardo – deux voies sont ouvertes au voyageur : l’une donnant accès à la libération immédiate, l’autre détournant de cette délivrance pour conduire à plus d’obscurité et d’assujettissement.

Plus le temps passe, plus la lumière de la Vérité essentielle se voile. Plus l’être s’enfonce, pour ainsi dire dans les brumes de l’égarement, plus bas il risque de chuter dans les mondes des êtres inférieurs : animaux, démons…

Si le karma le voue à la plus grande déchéance, l’esprit parcourra en raccourci, dans les 49 jours théoriques de ce bardo, la voie de toute l’ontogenèse qui a produit jadis la naissance progressive des mondes et des êtres, depuis le niveau idéal de l’Absolu jusqu’aux formes les plus basses et les plus matérielles. Et ces 7 semaines rappellent aussi qu’il a fallu à Siddhârtha une égale période de méditation sous l’arbre Bodhi pour suivre toute cette trajectoire en sens inverse, de palier en palier, jusqu’à l’illumination suprême, faisant de lui un Bouddha parfait.

Dans la pratique, entre la mort et l’accès à une renaissance, le Bardo Thödol distingue deux périodes :

– le Chönyid bardo – l’état intermédiaire de la Vérité en soi – où le défunt peut bénéficier de l’aide efficace des grands êtres de compassion jusqu’à l’épuisement de ses chances de libération ;

– le Sidpa bardo – l’état intermédiaire du devenir – où se dessine la future destinée de l’individu, à la suite du Jugement implacable qu’il doit subir à ce niveau.

*

Au cours des 5 premiers jours du Chönyid bardo, le mort est confronté à d’impressionnantes apparitions de lumières, de formes, de personnages, accompagnées de sonorités puissantes. Le mort ne doit ni s’en effrayer ni s’en détourner, mais reconnaître dans ces visions de simples projections de son mental et identifier en elles l’essentiel qui s’y cache.

Au fil des jours, sous l’empire de l’un des poisons de l’âme (ignorance, colère, orgueil…) l’être aveuglé doit relever avec sérénité le défi du moment et saisir la Vérité qui apparaît derrière cette étrange imagerie. S’il y réussit, il gagne aussitôt la libération.

En réalité, toutes ces visions sont complexes et riches de symbolisme pour le fidèle de la tradition bouddhique.

Il est facile de schématiser la démarche du défunt dans les cinq premiers jours du Chönyid bardo. En partant du centre, sa vision effectue une sorte de ronde autour de ce lieu focal, en observant un temps d’arrêt à chaque point cardinal, et à chaque station, il a une chance de se fondre dans l’essence de l’être.

Qu’arrivera-t-il le sixième jour ? Et le septième ? Le Bardo Thödol assure que le témoin voit d’abord tous les bienveillants personnages accompagnés de terrifiants gardiens du seuil, postés aux quatre portes, avec quelques divinités supplémentaires, non moins impressionnantes. Et le dernier jour de cette semaine apparaissent d’autres figures célestes – les détenteurs de la connaissance, entourés d’inquiétantes Dâkinî brandissant des armes et des crânes pleins de sang. Pendant tout ce temps, le Lama doit s’employer à calmer le défunt, confondu par les mirages qui prennent un tour menaçant, par le jeu des lumières, par le bruit assourdissant, les lueurs tentatrices des mondes inférieurs qui offrent un refuge trompeur à l’indécis.

 

À partir du huitième jour vont commencer les visions de cauchemar des divinités courroucées. À mesure qu’il s’enfonce dans le bardo, l’être a plus de mal à surmonter les illusions karmiques, et l’urgence est plus grande à briser les obstacles à la libération. Ces apparitions terrifiantes, avec leur cortège dantesque, ne sont alors que des métamorphoses des divinités paisibles du cycle précédent. Elles invitent à trancher radicalement les liens de l’attachement, les chaînes de l’ignorance. Face à ces scènes, le défunt tiendra son salut dans un vigoureux sursaut de conscience, opposant à la frayeur l’idée maîtresse: “Tout cela n’est que projection du mental et n’a pas de réalité formelle. Dans la vacuité sans forme se trouve la Vérité en soi.

Inutile de passer ici en revue les personnages qui semblent sortis tout droit de l’imagerie populaire nourrie par les sorciers bön, au temps du légendaire Padmasambhava. Reconnaissons cependant que, sans l’assistance d’un bon Lama, le pauvre bougre de mort n’a guère de chances de franchir le mur hideux des apparences et de se retrouver au Paradis.

On note souvent dans le Livre des affirmations du genre : “Si le défunt entend ces instructions, il est impossible qu’il ne soit pas libéré…”. On apprend que même l’individu coupable de l’un des « 5 crimes inexpiables » sera certainement libéré si cet enseignement lui parvient par le canal de l’oreille. Il suffit, paraît-il, d’entendre de son vivant le Bardo Thödol une seule fois (sans même le comprendre) pour s’en souvenir intégralement après la mort !

On serait donc bien mal avisé de méconnaître ce Livre qui s’affirme tout bonnement comme “la quintessence de tous les enseignements”. Heureux le plus simple des tantristes, fût-il vulgaire, inculte ou immoral car il pourra effectivement gagner la libération s’il respecte l’enseignement tantrique…

Avec les jours passés dans la partie infernale du Chönyid bardo, les chances de salut s’amenuisent. Le défunt peut même “s’évanouir” de peur. En tout cas, à la fin de cette période troublée, il ne pourra plus échapper à son destin. Alors, ce sera l’entrée dans un nouveau bardo, celui du devenir et du retour à la naissance. Sans en décrire les péripéties, il faut signaler ici un épisode capital : la “pesée des actes”, où le mort se trouve confronté à son mauvais karma. Le bilan des bonnes actions et des forfaits sera établi en cailloux blancs et noirs, que le défunt, pris de peur, tentera de fausser en s’affirmant innocent, mais que Yama, le juge des morts, découvrira en consultant le miroir de karma, où toute l’existence écoulée est inscrite. Furieux, Yama fera subir à l’infortuné des tortures dont le tableau rappelle étrangement les récits cauchemardesques d’initiation des chamans sibériens. Bien sûr, l’individu survivra à ces hallucinations, issues de son mental. Mais pour lui, parvenu à ce point, il lui faudra renaître.

L’expérience de l’après-vie, dans l’optique de la Théosophie

Pendant la période comprise entre la mort et le moment où se réaffirme le karma décidant du retour à l’incarnation, la Théosophie place un ensemble d’événements qui obéissent à une logique fondamentalement différente de celle du Bardo Thödol.

1 – Lorsque la mort est consommée, la rupture avec le corps physique s’accompagne d’une extinction de la conscience personnelle, “comme la flamme d’une bougie qu’on souffle”. Cela, quel que soit le genre de mort. En laissant de côté les rares cas d’exception, cette conscience ne réémergera que bien plus tard. Dans les cas de mort “normale” (vieillesse, maladie…), il n’est pas question de poursuivre un dialogue avec le défunt, vu qu’il n’a plus aucun rapport conscient avec le monde terrestre. En outre, l’expérience posthume étant programmée, comme tous les processus naturels, il n’y a pas à craindre que le voyageur de l’au-delà se trompe de route et ne profite pas des éventuelles possibilités de libération tout au long du chemin.

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Pour la Théosophie, l’après-vie est un monde d’effets où s’engage l’homme avec son bagage karmique sans possibilité d’intervenir volontairement sur le cours des événements. Si on n’est pas un « Bouddha » pendant la vie, on ne saurait le devenir après la mort…

2 – Dans le Bardo Thödol, on s’efforce de suivre le personnage terrestre transféré dans l’au-delà, avec sa conscience, avec tout son psychisme, ses peurs, ses émotions, sa mémoire. On l’aide à exercer sa volonté d’homme, à répéter des prières, en demandant de l’aide aux puissances divines. On l’appelle par son nom. Il est une sorte de naufragé qu’on cherche à sauver jusqu’au moment où il s’engouffre dans une nouvelle naissance. Mais, tout au long, il conserve son moi personnel.

Pour la Théosophie, au contraire, l’accent doit être mis sur l’Homme réel, qui n’est pas sa personnalité terrestre, limitée au temps d’une incarnation, mais le foyer permanent, transpersonnel, de cette complexe créature psychophysique. C’est d’ailleurs cette lumineuse face cachée de l’être qui s’est manifestée clairement à la conscience du mourant, à l’instant suprême du retour à sa source. Toute l’aventure posthume aura maintenant pour objet de préserver dans l’individualité immortelle – le Je profond – ainsi que toute la richesse d’expériences faites par son moi partiel et limité dans sa dernière incarnation. Il ne s’agira donc pas d’une régression progressive, par une série de paliers symboliques selon un arc descendant, mais d’une grande remontée, vers la source de la conscience.

Dans cette perspective, la logique de l’après-vie n’implique pas une dichotomie du type : ou bien l’illumination dans l’un des corps du Bouddha, ou bien la retombée dans le samsâra. Elle comprend en revanche le dépouillement profond des “vêtements” psychiques qui lui ont servi à apparaître sur la scène terrestre, suivi d’une phase d’assimilation du butin spirituel de sa dernière vie.

 

Avec la Théosophie, on peut délimiter plusieurs bardo,
mais avec un contenu différent :

Le bardo du dépouillement du “personnage psychique”, qui va de la mort physique à la mort astrale, libérant l’Homme réel de sa machinerie psychomentale. Compté en temps terrestre, ce processus se déroule en une durée variable selon la qualité spirituelle de la personne, de quelques heures à plusieurs mois, ou même davantage.

Le bardo de la gestation spirituelle, où s’élabore le champ où se déroulera la grande expérience de conscience qui suivra. Cette gestation dans la sphère vivante de l’être peut demander « beaucoup de temps », selon la richesse spirituelle de la dernière incarnation. Elle semble avoir pour but de rétablir une structure viable de personnalité, mais cette fois entièrement purifiée et au diapason de l’Ego.

Le bardo de la grande béatitude, ou devachan, où, loin de toute influence terrestre, s’effectue une sorte d’intense communion entre l’être transpersonnel et la face lumineuse de la personnalité humaine sublimée qu’il a animée. Ici, la conscience enfermée dans sa sphère, libérée de toute contrainte, est face aux meilleures productions terrestres qu’elle a pu susciter dans l’homme incarné. Elle fait revivre, avec une grande puissance, tout l’or des instants de vie où le coeur et l’intelligence ont parlé ensemble dans un désir d’incarner les valeurs universelles qui ennoblissent l’homme – amour, justice, créativité, émotion artistique – même d’une manière très imparfaite. Et ce genre de méditation, dans une lumière et une joie sans mélange, peut se prolonger pendant des siècles, voire plusieurs millénaires.

Mme Blavatsky assimile l’expérience « paradisiaque » à une sorte de représentation qui se déroule selon un programme que nous avons appris et très souvent composé nous-mêmes inconsciemment. Là se déploie la réalisation des croyances correctes ou des illusions que nous avons nous-mêmes créées de toutes pièces.

Bien entendu, rien n’empêchera l’être qui accédera ainsi au bardo de la béatitude de voir le Christ s’il est chrétien, ou bien les compatissantes divinités du panthéon bouddhiste, s’il en a occupé sa pensée la vie durant; mais ces visions merveilleuses seront conformes à l’image qu’il s’était faite de ces personnages divins. Il n’atteindra pas au nirvâna définitif pour autant.

L’optique théosophique

Dans l’optique théosophique, l’expérience paradisiaque n’est pas réservée au petit nombre des méritants d’élite ou des pratiquants avisés d’une technique secrète de libération. Elle est dans la logique même de la vie. Si l’existence terrestre doit porter des fruits durables pour l’être conscient en évolution, il faut qu’il en rumine et digère la substance assimilable par une longue méditation intérieure – laquelle ne peut être que béatifique dès lors qu’elle s’effectue dans l’aura lumineuse de la sphère transpersonnelle de l’Homme permanent. Et il n’existe guère de créature humaine sur terre – même privée de toute doctrine religieuse – dont la conscience n’obtienne à ce niveau sa part de félicité, si l’homme, de son vivant, avait accordé tant soit peu d’amour à ses proches, de respect à la nature, et d’élan de solidarité au groupe humain dont il partageait la vie.

Ce genre d’expérience ineffable exige l’isolement complet de la conscience en son foyer. D’où le rejet préalable, dans le premier bardo, de toute la machinerie astrale et psychique qui avait servi à communiquer avec le monde où évoluait la personnalité. Observons cependant que, si la gestation alchimique qui fait suite doit être féconde, il faut qu’elle opère sur une matière première de qualité spirituelle. Aussi le dépouillement du “personnage psychique” n’est-il pas un pur et simple abandon par l’Homme permanent de ce qui ne sera plus qu’une sorte d’automate humain, une fois privé de la vitalité et de la conscience de l’être profond. En réalité, ce rejet s’accompagne d’un tri de toutes les énergies et images psychiques de la personnalité terrestre décédée : le foyer transpersonnel de l’individualité attire à lui magnétiquement et préserve toute la substance homogène à sa nature, tandis que l’automate personnel retient pour sa part tout ce qui reste de force, d’impulsions et de souvenirs centrés autour du moi terrestre, égoïste et séparé.

Selon la Théosophie, ce grand clivage, dans tout ce que recélaient de vivant et de dynamique le cœur et le mental de l’homme incarné, est une sorte de “lutte à mort”, un “combat suprême”, qui a bien pu inspirer tous les mythes de “Jugement des morts” proposés par l’exotérisme des religions

Mais, on l’a compris, il ne s’agit pas de savoir si l’âme terrestre a été bonne ou mauvaise, méritant ainsi le Ciel ou l’Enfer. On dirait plutôt qu’à ce moment crucial le pôle spirituel et lumineux de l’être cherche à soutirer dans ce personnage ce qui lui revient de possessions inaltérables – comme fruit du talent confié à la naissance de son serviteur terrestre passager – tandis que l’entité astrale, qui sera finalement rejetée comme un cadavre psychique demeure pleine d’énergies et d’images liées à la vie physique. On peut songer que, par une sorte d’instinct de conservation, cette entité, hier encore très vivante, cherche à lutter contre le démantèlement qui la menace. D’où le combat symbolique.

Le Bardo Thödol vise-t-il vraiment, comme la Théosophie, l’ensemble des hommes appelés à mourir ?

Selon certains des lamas les plus instruits, les 110 principales déités du Chônyid bardo ne seront vues que par les adeptes déjà avancés spirituellement et ayant étudié le tantrisme. Les personnes ordinaires n’auraient à leur mort que des visions comme celles décrites dans le Sidpa bardo. Ce qui limite beaucoup l’intérêt et la portée du livre pour les Occidentaux.

Si cette opinion est correcte, on est fondé à voir dans tout le spectacle du Chönyid bardo, une pure et simple résurgence de l’imagerie emmagasinée par le pratiquant du tantrisme au cours de ses innombrables exercices de contemplation.
La technique de libération de la conscience, expérimentée pendant l’existence serait naturellement mise à profit après la mort. Dans ce cas, le Bardo Thödol constituerait une sorte d’aide-mémoire posthume pour le bénéfice d’initiés, et ne décrirait pas le déroulement naturel de l’expérience pour tous le monde, comme le fait la Théosophie.

Des éclaircissements fournis par l’actuel Dalaï Lama vont dans ce sens. À la question : “Ceux d’entre nous qui n’ont aucune idée préalable de l’aspect de ces divinités verront-ils quand même ces apparitions en accédant à cet état ?” La réponse proposée a été négative, tout en précisant d’intéressantes nuances : “Je ne pense pas. D’une façon générale, le Livre des Morts tibétain décrit des apparitions de divinités paisibles et courroucées pour celui qui a pratiqué et s’est familiarisé avec elles de son vivant. Si le pratiquant ne peut être libéré en reconnaissant et exploitant les états qui précèdent la mort, à chaque phase ultérieure de l’état intermédiaire, il cherchera à susciter l’apparition de ces divinités paisibles et courroucées, conformément à une pratique pré-déterminée. Le pouvoir acquis par cette familiarité avec les déités sert alors à induire un état de vigilance tel que, à mesure que se produisent les apparitions, on bénéficie de chances diverses d’éveiller la conscience pénétrante, et ainsi de réaliser la nature ultime du mental.”

Dans ces conditions, on admettra que le Livre des Morts tibétain ne concerne pas l’ensemble des hommes.

D’autres caractéristiques du Bardo Thödol

Beaucoup de caractéristiques du Bardo Thödol soulignent son appartenance à un mouvement religieux lié à l’histoire. En relisant ce livre, on s’aperçoit que, malgré son insistance à parler de libération, le sentiment qui y domine est la peur! L’après-vie nous promet de belles angoisses et pas grand chose de positif à quoi se raccrocher. Même quand viennent les divinités paisibles (5 jours sur 49) la luminosité qu’elles dardent sur l’être perdu dans la confusion est insoutenable. Nous sommes donc loin de cette merveilleuse aura de lumière, d’amour et d’harmonies divines où se baignent avec délices nos modernes rescapés de la mort. Et que dire des hallucinantes visions qui terrifient ensuite le malheureux, avant de subir les supplices raffinés dont Yama détient le secret ?

Tout en affirmant (avec tous les bouddhistes) la non-existence d’un moi permanent, les auteurs du Bardo Thödol donnent l’impression de rééditer la sempiternelle démarche des religions exotériques qui proposent à l’homme personnel, culpabilisé et aveuglé, la perspective d’une fin immédiate à ses tribulations, en se tournant vers un Sauveur providentiel, par l’effet d’une libération personnelle. Une sorte de miracle, que récuse la Théosophie.

Fallait-il donc que la peur du samsâra, héritée d’un hindouisme populaire, conduise à tracer une image aussi morose et funeste de cette après-vie, qui ne serait finalement que l’antichambre de la réincarnation – une sorte de tunnel sans joie, où devraient transiter, dans les plus brefs délais, la majorité des êtres, condamnés une fois de plus à l’asservissement ?

Face à ce schéma, plutôt pessimiste, la Théosophie propose une vision qui tient compte des réalités universelles.

Au lieu de se bercer de l’espérance illusoire d’une délivrance définitive après la mort, ne conviendrait-il pas tout d’abord d’accepter la réincarnation comme un processus bénéfique et non comme une sorte de calamité – puisque c’est seulement ici-bas que l’on peut apprendre son rôle d’homme et progresser volontairement vers l’Eveil ?

Serait-il réaliste de songer à la “libération” alors que nous sommes bien souvent des enfants, appelés encore à tant de devoirs, et que la famille universelle des hommes a besoin de tous les siens, humbles et grands pour transformer cette planète en une terre d’harmonie ?

Pour la Théosophie, le monde de l’au-delà, comme celui de la vie, est parfaitement géré par les lois naturelles. Et si l’existence incarnée est féconde, la mort peut l’être également. La période intermédiaire vécue dans la sphère invisible doit donc être comprise comme le complément indispensable de chaque épisode de l’incarnation.

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Nul ne contestera que, d’un point de vue très positif, le Bardo Thödol, dans sa première partie du moins, est un livre de base pour la préparation à la mort et l’accompagnement des mourants. Bien sûr, le lamaïsme n’a pas le monopole de cette démarche mais la philosophie du bouddhisme, rappelée au pratiquant près de l’agonie, est de nature à l’aider à renoncer aux attaches terrestres et à affronter avec sérénité cette expérience où, de quelque manière, va lui apparaître la suprême Réalité. Et même si très probablement le décédé ne perçoit plus la parole du Lama, la famille, elle, l’entend – et c’est sûrement pour elle un soutien moral et un réconfort : l’être cher n’est pas abandonné sans guide dans les terreurs du bardo. En outre, pour chacun, c’est une répétition, en vue de son propre départ futur.

Le Bardo Thödol s’appuie-t-il sur une réelle connaissance des processus de l’après-vie ?

N’aurait-on pas des raisons de croire qu’il n’en présente, en définitive, qu’un schéma très imaginatif? En tout cas, ses explications diffèrent radicalement de celles de la Théosophie.

Il y a plus de cent ans déjà, les maîtres de Mme Blavatsky ont jugé que les hommes ne pourraient plus se nourrir indéfiniment de mythes et de croyances. Avec la Théosophie, ils ont proposé un cadre pour une représentation rationnelle de la dynamique de la vie où la mort aurait sa place évidente. Mais il était trop tôt sans doute pour que la psychologie occidentale adhère à ce modèle transpersonnel, tandis que l’Orient, figé dans ses traditions, aurait peine à se reconnaître dans ses vues non orthodoxes.

Durant de longs âges, des générations successives d’Adeptes ont cependant approfondi les mystères de l’être, de la vie, de la mort et de la renaissance, et ont enseigné à leur tour certains des faits ainsi appris. Après la mort, commence, devant les yeux spirituels de l’âme, une représentation qui se déroule selon un programme que nous avons appris et très souvent composé nous-mêmes inconsciemment : là se déploie, dans des faits vécus, la réalisation des croyances correctes, ou bien des illusions que nous avons nous-mêmes créées de toutes pièces.

Le mourir et la première mort

Au moment solennel de la mort, même dans le cas de mort subite, chaque homme voit toute sa vie passée se dérouler devant lui dans ses plus minimes détails. Pendant un court instant, l’ego personnel devient un avec l’Ego individuel et omniscient. Mais cet instant suffit pour lui montrer tout l’enchaînement des causes qui ont opéré sa vie durant. Il se voit et se comprend alors tel qu’il est, dépouillé de tout masque flatteur et affranchi de ses propres illusions. Il déchiffre sa vie en spectateur qui contemple d’en haut l’arène qu’il quitte. Il sent et reconnaît la justice de la souffrance qu’il a subie et cela arrive à tout le monde, sans exception. Et certains êtres peuvent voir non seulement la vie qu’ils quittent, mais même plusieurs existences antérieures où avaient été produites les causes qui les firent tels qu’ils furent dans la vie qui vient de se terminer. Ceux-là reconnaissent aisément la réalité de la loi de karma.

Pour le commun des mortels, l’après-vie dépendra beaucoup de la nature des pensées qu’il a eues durant le cours entier de sa vie terrestre, car l’âme doit longer la route par laquelle elle est venue et les souvenirs de toute une vie sont alignés le long du chemin. Au fur et à mesure que ces souvenirs se lèvent, ils affectent l’entité prête à s’en aller, soit en l’empêchant de se concentrer sur l’Être Suprême, soit en l’aidant à le faire d’une manière plus parfaite.

Lorsque le souffle quitte le corps, nous disons que l’homme est mort, mais ce n’est là que le commencement de la mort qui se poursuit sur d’autres plans. Quand le corps est froid et que les yeux sont clos, toutes les forces du corps et du mental se précipitent à travers le cerveau, et la vie entière qui vient de se terminer s’imprime, par une série de tableaux, d’une manière indélébile dans l’homme intérieur, non seulement dans ses grandes lignes, mais jusqu’en ses moindres détails, jusqu’aux impressions les plus légères et les plus fugitives. À ce moment, bien que tous les symptômes fassent décréter la mort par le médecin, et bien qu’à tous points de vue la personne soit morte à cette vie, l’homme réel est à l’œuvre dans le cerveau et, tant que sa tâche n’y est pas terminée, la personne n’a pas quitté ce monde.
Cette œuvre solennelle achevée, le corps astral se détache du corps physique, et l’énergie vitale s’étant retirée, les cinq principes restants se trouvent sur le plan de kâma loka où commencent les processus des états de conscience post mortem.

Les étapes de la mort

Par suite de la séparation naturelle des principes, provoquée par la mort, l’homme entier se trouve scindé en trois parties.

Premièrement : le corps visible qui, avec tous ses éléments, est abandonné sur le plan terrestre où il poursuit sa décomposition, et où tout ce qui est composite se désagrège et restitue avec le temps les éléments aux différents domaines physiques de la nature.

Deuxièmement : le kamarupa (composé du corps astral, des passions et des désirs) qui, sur le plan astral, commence aussitôt à se désagréger.

Troisièmement : l’homme réel (la triade supérieure d’Atma-Buddhi-Manas) non sujet à la mort, maintenant hors des conditions terrestres et privé de corps, commence à fonctionner en devachan uniquement comme un mental revêtu d’un vêtement très éthéré, dont il se dépouillera quand sonnera l’heure de son retour sur terre.

L’expérience du kama loka et la seconde mort

Le Kama loka — ou le lieu du désir — est la région astrale qui pénètre et entoure la terre. En tant que lieu, il est sur la terre, en elle et autour d’elle, et s’étend à une distance mesurable de celle-ci, mais les lois ordinaires qui prévalent ici-bas n’existent pas là, et les entités qui s’y trouvent ne sont pas sujettes aux mêmes conditions d’espace et de temps que nous.

Le kama loka est donc une localité astrale. Il n’a ni étendue ni frontières définies, mais il existe dans les limites de l’espace subjectif, c’est-à-dire, au-delà des perceptions de nos sens. Il existe néanmoins, et c’est là que les images ou doubles astraux de tous les êtres qui ont vécu, y compris les animaux, attendent leur seconde mort.

Pour les animaux, cette mort vient avec la désintégration et la disparition complète de leurs particules astrales jusqu’à la dernière. Pour l’humain, elle commence quand la triade Atma-Buddhi-Manas se sépare de ses principes inférieurs, ou du reflet de l’ancienne personnalité pour se plonger dans l’état « dévachanique ».

Chaque atome destiné à former l’homme possède une mémoire qui lui est propre, et dont la durée sera proportionnée à la force qu’il a reçue. S’il s’agit d’une personne très matérielle, très grossière, ou très égoïste, la force subsistera plus longtemps.

La partie purement astrale de cette coque [= l’eidôlon humain] contient et conserve le souvenir de tout ce qui se passa durant la vie de l’individu, une des qualités de la substance astrale étant d’absorber et de conserver les scènes, les images, les impressions de toutes les pensées et de les projeter par réflexion quand les circonstances le permettent. Cette coque astrale, rejetée à la mort par chaque être humain (dépourvue de tous les principes supérieurs qui servaient de guides) erre et flotte de place en place, sans volonté propre, mais entièrement gouvernée par des attractions dans les champs astraux et magnétiques. Privées d’âme et de conscience, ces coques ne sont nullement les esprits de nos morts. Ce sont les vêtements dont l’homme intérieur s’est dépouillé.

Les périodes devachaniques

Pendant chaque période devachanique, l’Ego se revêt, pour ainsi dire, du reflet de la personnalité qui fut. L’efflorescence idéale de toutes les qualités, ou attributs s’attachent à lui après la mort et le suivent ainsi en devachan (le paradis chrétien). Il s’agit de qualités telles que l’amour, la miséricorde, l’amour du bien, du vrai et du beau, qui se sont manifestées dans le coeur de la personnalité de son vivant. Alors, pour la durée de cette période, l’Ego devient la réflexion idéale de l’être humain qu’il fut la dernière fois sur terre. Même si cette réflexion-là n’est pas omnisciente, la béatitude en devachan est totale. C’est l’oubli absolu de tout ce qui a causé de la souffrance ou du chagrin dans l’incarnation passée.

L’être vit entouré de tout ce à quoi il a vainement aspiré et en compagnie de tous ceux qu’il a aimés sur terre. Les plus ardents désirs de son âme se trouvent comblés. Et ainsi, il vit (parfois) pendant de longs siècles une existence de béatitude sans mélange, qui est la récompense des douleurs qu’il a endurées pendant la vie terrestre.

Pour la personnalité terrestre de l’homme, l’immortalité et la conscience après la mort deviennent toutes les deux simplement des attributs conditionnés, car elles dépendent entièrement des conditions et des croyances qu’a créées l’âme humaine elle-même durant la vie du corps. Nous ne moissonnons dans notre vie après la mort que les fruits de ce que nous avons semé nous-mêmes pendant celle-ci.

Une entité est immortelle, mais elle ne l’est que dans son essence ultime, non dans sa forme individuelle

Arrivée au dernier point de son cycle, elle est absorbée dans sa nature primordiale et elle devient esprit, perdant alors son nom d’Entité.

En tant que forme, l’immortalité de l’entité est limitée à son cycle de vie, le Mahâmanvantara. Celui-ci écoulé, elle est indissolublement unie avec l’Esprit Universel et identique à lui, en cessant d’être une Entité distincte. Quant à l’Ame personnelle, c’est-à-dire l’étincelle de conscience qui conserve dans l’Ego Spirituel l’idée du “Moi” personnel de l’incarnation précédente, elle ne dure, en tant que souvenir séparé et distinct, que jusqu’à la fin de la période dévachanique. A l’expiration de celle-ci, elle s’ajoute à la série des autres incarnations innombrables de l’Ego, comme le souvenir qui reste dans notre mémoire, à la fin de l’année, d’un seul jour parmi tous les autres ! Seul est immortel ce qui est indissolublement cimenté par l’âme.

Nouvelle naissance

De même qu’au moment de la mort l’homme passe en revue rétrospectivement la vie qu’il a menée, de même au moment où il renaît sur terre, l’Ego qui se réveille de l’état du devachan a une vision prospective de la vie qui l’attend et se rend compte de toutes les causes qui l’y ont conduit. Il en prend conscience et voit le futur, parce que c’est entre le devachan et la re-naissance que l’Ego regagne sa pleine conscience manasique et, redevient, pendant un court espace de temps, le « dieu » qu’il était avant de descendre pour la première fois dans la matière conformément à la loi karmique, et s’incarner dans le premier homme de chair. Le “fil d’or” voit toutes ses “perles” et il n’en manque pas une.

Toute la période assignée par les forces de l’âme ayant pris fin en devachan, les fils magnétiques qui rattachent l’âme à la terre commencent à affirmer leur pouvoir. Le Soi se réveille de son rêve et est rapidement emporté vers un corps nouveau : une autre âme est revenue sur terre.

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